Une belle âme

Dans son allocution du 11 novembre salle Dumoulin, sans revenir explicitement sur la suppression par la municipalité de la cérémonie traditionnelle du 1^er novembre devant le monument de Vingré, le maire s’est senti obligé  de mentionner les fusillés pour l’exemple et a tenu à assurer leur mémoire de sa commisération. Je me garde, a-t-il précisé, de juger « ceux qui n’ont pas tenu face à des conditions inhumaines » (La Montagne, 12 novembre),

Inhumaines, certes, et ils ont été des centaines - bien peu toutefois par rapport aux innombrables victimes de l’hécatombe et aux millions d’hommes engagés de part et d’autre - à ne pas « tenir » dans ces conditions effroyables. Encore serait-il décent de ne pas simplifier les motivations des soldats envoyés devant le peloton par une justice militaire expéditive. Beaucoup n’avaient-ils pas réagi à l’absurdité sanglante d’attaques à répétition toujours vouées d’avance à l’échec ? La révolte et la peur, est-ce la même chose ?

Mais s’agissant de Vingré, la question est hors sujet. Ces fusillés-là ont très vite surmonté le réflexe de panique de leur officier ; loin d’abandonner leur poste, ils ont immédiatement repris la position perdue, et tout cela selon les ordres reçus. La Cour de Cassation qui les a réhabilités - hélas, à titre posthume – en 1921 a reconnu que le conseil de guerre les avait condamnés à tort, sur la base d’une dénonciation mensongère.

Tout cela, c’est de l’Histoire, Monsieur le Maire, et que cette Histoire soit tragique n’autorise ni à l’ignorer ni à la travestir. Votre sensibilité est louable, mais elle vous égare. En vous défendant de juger vous trouvez des circonstances atténuantes à une faute qui n’a pas été commise. Au fond de vous-même vous considérez les « martyrs de Vingré »  comme des coupables qui auraient besoin d’excuses : c’est le message que susurre votre humanité. Ces « coupables », vous les stigmatisez sous couleur de ne pas les juger. En êtes-vous conscient ? On aimerait répondre non : on l’aimerait pour vous, car l’Histoire et la Justice, elles, voici quatre-vingt treize ans, ont déjà jugé.